Louis-Alain Richard
Tout le monde a son avis sur les gros 4x4 de luxe, comme les Land Rover, Grand Cherokee et autres Lexus LX470, mais qui se souvient de l'aïeul de la série, le premier véhicule tout-terrain dont le cahier des charges comportait aussi les notions de confort, de silence et de luxe ? S'il est aujourd'hui tombé dans l'oubli, encore que certains commerçants américains en font une spécialité, le Jeep Wagoneer est sans aucun doute l'ancêtre de tous ces coureurs des bois en tenue de soirée.
À l'époque, à l'automne 1962 lors de son lancement, la Jeep Wagoneer n'était qu'une familiale américaine dotée d'un rouage à quatre roues motrices. La notion de 4x4 de luxe est apparue en 1965 avec la version Super Wagoneer, équipée de la climatisation, d'un toit de vinyle avec galerie, d'appliques similibois et d'un moteur V8. Avec le lancement du système QuadraTrac en 1973, un rouage intégral permanent, le Wagoneer devint vraiment la coqueluche des chasseurs fortunés, des hommes d'affaires aimant la nature et des entrepreneurs en construction. Il faut dire que son prix de vente approchait celui des Cadillac, et que la concurrence n'avait à offrir que des 4x4 à vocation utilitaire, comme le Scout d'International et le Suburban de GMC. La réputation de robustesse de Jeep associée au luxe de sa cabine sera donc une réussite marketing et commerciale.
Aujourd'hui, le Wagoneer est relativement facile à trouver en bon état, si on cherche dans les états du sud des États-Unis, comme le Texas ou la Californie. Les spécialistes www.wagonmaster.com et www.wagoneerworld.com du Texas en proposent actuellement quelques dizaines, allant de 20 000$US à 35 000$US et de 1967 à 1991. Des Wagoneer non restaurés sont aussi disponibles.
Pourquoi aller si loin ? C'est que le principal souci avec ces 4x4 était, et est toujours, la corrosion de la carrosserie. La mécanique est très simple et peu onéreuse. Par exemple, on retrouve des moteurs remis à neuf pour quelques milliers de dollars, mais une carrosserie perforée rendrait une restauration exorbitante. Il vaut mieux se procurer un exemplaire sain, même si son prix est à l'avenant, que de partir sur une base amochée et tenter de réparer les oeuvres de la corrosion.
À l'intérieur, c'est le royaume du simili : similibois au tableau de bord, similicuir sur les portes, simililaine sur le plancher et similichrome sur les commandes. Seuls les sièges ont droit à un peu de cuir sur les côtés, le centre étant en similivelours. C'est très kitsch, mais cela confère à l'ensemble une touche très 1970. Le seul souci à l'intérieur est que cela vieillit mal; les plastiques et la moquette décolorent, la finition est approximative, et une restauration complète serait un gouffre. Il faut donc faire avec cette ambiance triste et monochrome et profiter de la visibilité extraordinaire que procurent le très vertical pare-brise et les généreuses glaces latérales. Tout comme dans un Range Rover, on est assis sur le châssis, et non dans le châssis, et les découpes des portières arrivent à mi-taille. On est loin des voitures modernes qui nous enveloppent jusqu'aux oreilles.

Au volant, c'est vraiment un voyage dans le passé. Le moteur est à carburateur, la boite de vitesse n'a que trois rapports, la direction est surassistée, et le freinage est tout juste correct pour une telle masse. Ce n'est pas pire qu'à l'époque, c'est seulement que les 4x4 modernes sont tellement mieux sous tous ces rapports que la Wagoneer semble avoir été conçue dans les années 60... ce qui est le cas, ne l'oublions pas !
Mais comme une ancienne est rarement acquise pour ses qualités dynamiques, mais plutôt pour ses capacités à faire revivre le passé, le Jeep Wagoneer sera donc à son meilleur par un bel après-midi d'automne, lors d'une balade en forêt, avec toute la famille qui se chamaille sur la banquette arrière pour savoir qui aura la chance de faire le premier tour de canot une fois rendus au chalet.